Présentation de l'artiste
Matthias Koch
Né en 1964 dans le sud de l’Allemagne, Matthias Koch a tôt choisi l’itinérance : il a vécu successivement au Venezuela, au Chili et au Mexique avant de s’établir en Ardèche, où il vit et travaille aujourd’hui. Ce territoire de granit et de garrigue, austère mais vibrant, est devenu pour lui une terre d’ancrage autant qu’un laboratoire d’observation.
Photographe du seuil et du silence, Koch s’attache moins à documenter qu’à questionner. Ses séries Metamorphosis, Todtnauberg ou Figures d’un Monde en Sursis tracent une cartographie fragmentée de notre époque : on y croise l’exil intérieur, les empreintes de la mémoire, la fragilité du vivant. À la prise de vue frontale, il préfère l’accompagnement — comme s’il marchait aux côtés de ses sujets plutôt qu’il ne les capturait. Ses images, souvent ténues et silencieuses, forment autant d’actes de résistance contre l’effacement.
Formé par la philosophie autant que par l’expérience du terrain, Matthias Koch développe un regard engagé mais discret, attentif à ce qui vacille.
Il a publié notamment Figures d’un Monde en Sursis (L’Harmattan) en collaboration avec la philosophe Claude Molzino : un dialogue entre photographies et pensée critique qui prolonge son questionnement sur la place de l’humain dans un monde à la fois menacé et en métamorphose.

Artist statement
"Todtnauberg ou l'éternel retour" de Matthias Koch
Matthias Koch nous entraîne dans une traversée vertigineuse de la mémoire européenne : un voyage où les images reviennent en boucle comme les refrains d’une fugue. Trois portraits du grand-père nazi scandent la série ; ils résonnent avec le vers obsédant de Paul Celan dans Fugue de mort : « La mort est un maître venu d’Allemagne ». À chaque apparition, le passé frappe à la porte du présent, rappelant que les catastrophes ne s’éteignent jamais tout à fait.
Un cigare, fumé avec élégance, revient lui aussi à plusieurs reprises. Symbole d’une dualité perverse : extérieur raffiné, intérieur gâté. Il incarne ces élites qui soignent la façade culturelle tandis que se trament, dans la coulisse, des pensées mortifères. Car la civilisation peut produire la musique la plus subtile et, dans le même souffle, la barbarie la plus radicale.
Face à cette figure d’autorité, le regard d’une jeune fille défiante traverse l’objectif. On pense au petit Oskar du Tambourde Günter Grass : un témoin lucide qui perçoit à la fois la splendeur et l’infamie. Par son insolence, elle questionne le spectateur : qui ose vraiment voir ?
Le cœur géographique du projet est la cabane de Heidegger à Todtnauberg, clairière philosophique où la pensée se heurte à ses propres ombres. Koch l’entoure de paysages enneigés, de troncs noirs : autant de signes d’une beauté fragile, perpétuellement menacée. Dans ce décor, chaque volute de fumée rappelle que l’Histoire suit nos pas comme une ombre entêtée.
La dimension familiale donne à l’ensemble sa force corrosive. Impossible d’échapper au « grand-père, maître d’Allemagne » : il demeure, tel un mégot qu’on croit avoir écrasé mais que le moindre courant d’air rallume. Les idéologies ne naissent pas ex nihilo ; elles s’enracinent dans l’éducation, les habitudes, les récits transmis de génération en génération.
Ainsi, Todtnauberg n’est ni un simple album de souvenirs ni une promenade parmi les ruines ; c’est une mise en garde. Koch jette cet héritage au sol, presque provocateur : saurons-nous rompre la spirale, ou sommes-nous condamnés à tourner en rond ? Ceux qui détournent le regard de l’Histoire restent prisonniers de son retour éternel.